Traduire un homme, traduire une femme, est-ce la même chose?

Articles de fond | Françoise Wuilmart

Publié dans la revue Palimpsestes, n° 22, Traduire le genre: femmes en traduction, Presses de la Sorbonne nouvelle, Paris, 2009.

Préambule

Cette analyse portera essentiellement sur la relation qui peut s'établir entre deux écritures: d’une part celle de l’auteur, de l’autre celle du traducteur, non pas sous l’angle socio-culturel, mais dans l’optique du genre biologique et partant, psychique de deux écrivains qui se rencontrent dans l’objet-texte à transposer. Ou pour le dire plus simplement: traduire un homme, traduire une femme, est-ce la même chose, et l’acte du traduire s'en trouve-t-il affecté ? Les compétences mobilisées dans un cas ou dans l’autre sont-elles identiques ? La lecture et donc la prise de sens du texte à traduire s'en trouvent-elle influencées ?

Les réflexions qui suivent sont celles d’une praticienne de la traduction littéraire et ne prétendent nullement aboutir à une quelconque conclusion, provisoire ou définitive ; elles revendiquent encore moins une quelconque extrapolation ou généralisation. La seule ambition modeste des quelques constats qui se sont imposés à moi au fil de l’expérience est de témoigner et d’apporter un peu d’eau au moulin de la recherche dans ce domaine vaste et complexe encore en friche.

Écriture féminine vs écriture masculine

La première question qui s'impose est celle de savoir s'il existe une écriture féminine ou masculine. Cette question qui a fait couler beaucoup d’encre est une véritable pomme de discorde. D'aucuns prétendent qu'au niveau de l’écriture, conçue comme production artistique ou esthétique de qualité, le genre biologique s'efface. L’écriture réussie serait donc asexuée. Dans la création, l’auteur, l’artiste laisserait au vestiaire toute sa part de masculinité ou de féminité ; autrement dit: son appréhension du monde et des phénomènes naturels, sociaux, humains deviendrait soit hermaphrodite soit y subirait la castration. La grande écriture serait donc le lieu par excellence de l’accomplissement de la réunion platonique des deux sexes, ou bien de leur total effacement.

Il est communément admis par les plus grands écrivains eux-mêmes que l’écriture est une « vision du monde ». Vision du monde culturelle d’abord: l’appréhension du temps et de l’espace, de la vie et de la mort, et du quotidien se décantent dans la langue, plus particulièrement dans sa grammaire. Vision du monde personnelle ensuite, et à ce propos la dichotomie fond-forme me semble être un faux débat: il n’y a de contenu que via une forme, cette forme n’étant autre chose que l’appréhension scripturale d’un soi-disant contenu qui n’existerait pas sans elle. L’auteur ne peut écrire que ce qui passe par le prisme de sa personnalité singulière et particulière. Consciemment ou inconsciemment d’ailleurs: on pourrait dire en effet que l’auteur « est écrit » autant qu'il écrit, car s'il a incontestablement un projet d’écriture et maîtrise directement son style, bien des éléments se glissent dans son texte, entre les lignes, à son insu, dictés par l’inconscient, personnel et collectif, issus des strates profondes de sa personnalité qu'il ne peut toujours avoir présentes à l’esprit et qui font surface ici et là dans le texte. Et le bon traducteur n’est jamais dupe, car ce sont ces éléments, ces zones obscures à l’auteur lui-même que le lecteur privilégié qu'il est saura détecter et se fera un devoir de restituer.

Pour le traducteur littéraire le défi consiste donc à transposer une forme, une vision du monde qui s'est faite écriture. Et c’est exactement ici que se pose la question du genre: la vision du monde formalisée est-elle sexuée ? Et si elle l’est, quel est ou pourrait être l’impact sur la qualité de la traduction ?

Il est au moins un point que nul ne contestera, ni la science ni la doxa: l’homme et la femme sont différents, même si l’un et l’autre sont toujours sexuellement « bidosés », et donc bisexués à des degrés divers. Un grand philosophe allemand des Lumières a déjà remarquablement cerné et consigné ces différences, dans une optique psychologisante avant la lettre, isolée dans le temps et dans l’espace, et qui mérite d’être rappelée dans ce contexte: il s'agit d’ Emmanuel Kant et de son essai Sur la Différence des sexes, de 1798. Point de départ de ses constats: face à la nature, l’homme est puissant, la femme faible:

Moins il y a de force et de puissance dans un outil, plus il y faut de l’art. Or étant donné que le sexe féminin ne possède pas autant de force que le masculin et doit néanmoins produire autant d’effet que celui-ci, autrement il pourrait ne pas avoir son compte et la nature lui eût fait du tort s'il n’était à égalité avec le sexe masculin – la nature, donc, aura donné plus d’art au sexe féminin. Par conséquent, le sexe féminin, la nature féminine méritent d’être plus étudiée parce que possédant plus d’art et que la nature, de ce côté, accomplit par l’art ce que du côté masculin elle accomplit par la puissance. Puisque l’homme est fait pour la nature, il faut qu'il possède force et puissance, lesquelles sont appropriées pour résister aux désagréments de la nature, mais point d’art. Et comme la femme est faite pour l’homme et, à travers l’homme pour la nature, il faut qu'elle ait de l’art pour résister, à travers l’homme, à la nature et à sesdésagréments, et pour s'en servir à son avantage . (Kant, 2006: 74)

Kant se lance ensuite dans une description fouillée du comportement social des deux sexes, qui atteste une extraordinaire acuité d’observation et que l’on serait bien en peine de démentir, même actuellement. Malheureusement, s'il insiste beaucoup sur « l’état d’affinement dans lequel l’art de la femme devient visible », s'il s'étend longuement sur la sensibilité de la femme qu'il oppose à la sentimentalité de l’homme et sur la nécessaire tendance féminine à la manipulation de l’autre sexe, il n’aborde jamais le niveau du discours féminin en tant qu'opposé au discours masculin, et moins encore la sphère de la créativité, de la création artistique, de l’écriture.

Il fallait attendre la psychanalyse pour que l’objet de réflexion kantien soit examiné sous une loupe scientifique et clinique. L’ouvrage de Paul-Laurent Assoun, professeur à l’université Paris-7 et psychanalyste, Masculin et Féminin, s'inscrit dans ses Leçons psychanalytiques publiées depuis une décennie et prolonge les travaux sur le féminin, de Freud et la femme au Couple inconscient. Ce qui m'a intéressée dans cet ouvrage, c’est le questionnement de la strate inconsciente de la dualité originaire:

Que le genre humain se compose de deux moitiés, voilà une évidence première de ce monde. Pourtant, derrière la dualité hommes/femmes, transparaît l’énigme de la différence du masculin et du féminin en sa dimension inconsciente, irréductible au discours social comme au savoir biologique. À quelle pensée correspond donc la dualité des fonctions inconscientes du « masculin » et du « féminin » ? (Assoun, 2007: quatrième de couverture)

Voici le constat que fait Assoun dans sa leçon II:

C’est un fait que l’élucidation du masculin et du féminin passe par une réflexion sur l’actif et le passif, le phallique et le castré. La mise en équation en est livrée dans un texte décisif de Freud. « l’essence de ce que l’on nomme « masculin » ou « féminin » au sens conventionnel, biologique, commence par rappeler Freud, la psychanalyse ne peut l’éclairer, elle prend les deux concepts et les met à la base de ses travaux ». Mais voilà le second temps: « Lors de l’essai d’une réduction supplémentaire, la masculinité s'évapore en activité et la féminité en passivité, et c’est trop peu. » Enfin, si la dualité masculin/féminin s'écrit par la différence génétique, puis se retrouve au plan social qui doit fixer à tout prix masculin et féminin par des signes (coiffure, vêtements…), il n’en reste pas moins vrai que l’exploration du problème donne le vertige: car la dualité masculin/féminin est brouillée en maints endroits: au plan grammatical par le phénomène des épicènes, au plan biologique par celui des hermaphrodites ou androgynes, au plan social par celui du transvestisme. À chaque niveau donc – genre grammatical, genre social, genre biologique – la norme duelle se trouve divisée et révélée par une anomalie. (Assoun, 2007: 28)

Mais ici non plus nulle trace d’une différence qui investirait l’acte créateur et en particulier l’écriture.

En 1989 paraissait un ouvrage scientifique révolutionnaire en la matière, sous le titre Brain Sex, de Anne Moir et David Jessel. Leurs thèses avaient alors de quoi faire sensation: elles remettaient en question toutes les vérités communément admises jusque là. Les différences entre homme et femme seraient bien plus importantes que l’on imagine ; leur cerveau en effet, et partant leurs aptitudes mentales sont diamétralement opposées. Et pourtant ce ne sont ni la société ni l’éducation qui en sont responsables, affirment les auteurs, mais les processus physiologiques qui se déroulent durant le développement de l’embryon. La chimie passe à l’avant-plan pour expliquer les inégalités. Ainsi par exemple les hommes sont-ils supérieurs sur le plan de la pensée logique, de l’appréhension de rapports mathématiques ou de l’orientation dans l’espace géographique, tandis que les femmes les surpassent de loin sur le plan de l’intuition et de l’émotion. Sans doute Moir et Jessel auraient-ils accueilli à bras ouverts ce constat que me fit un jour Georges Steiner: « Avez-vous remarqué qu'aucune femme n’a jamais composé ni de grande symphonie ni de grand système philosophique ? ». Moir et Jessel notent aussi que l’utilisation de la langue est plus aisée pour la femme, chez qui le centre langagier est réparti dans les deux hémisphères du cerveau tandis qu'il est localisé dans l’hémisphère gauche du cerveau de l’homme. En règle générale d’ailleurs, les auteurs remarquent que pour toute une série de processus mentaux la femme utilise les deux hémisphères cérébraux et que chez elle la séparation fonctionnelle entre les deux est toujours plus diffuse ; ce qui expliquerait notamment que les femmes ont plus de difficultés à séparer raison, intelligence et émotion.

Depuis Moir et Jessel la science n’a cessé de progresser dans ce sens, la chimie l’emporte et il n’est plus à démontrer que le cerveau est bel et bien sexué, et que nous sommes les jouets consentants ou non d’interactions hormonales, que la séduction passe autant par la voix que par les yeux ou les odeurs, que les phéromones, invisibles complices de l’amour, sont omniprésents.

Pour en revenir à la question initiale: tout cela influence-t-il l’écriture, et partant, la re-création d’une écriture dans la traduction ?

Avant d’en venir à mon vécu de traductrice et à mon interprétation toute personnelle du phénomène, et après avoir évoqué sommairement ce qu'en pensaient la philosophie des Lumières, la psychanalyse et la science, je ne peux faire l’impasse sur certains discours littéraires: deux noms me semblent en effet incontournables pour enrichir la réflexion sur l’existence d’une « écriture sexuée »: Maurice Blanchot et Marguerite Yourcenar. Un homme, une femme. À noter d’emblée que l’homme va dans le sens de l’abstraction, et la femme dans celui du concret et du corps.

Maurice Blanchot parle du silence spécifique de l’écriture, silence qui a sa source dans « l’effacement auquel celui qui écrit est invité » :

Dans l’effacement auquel il est invité, le « grand écrivain » se retient encore: ce qui parle n’est plus lui-même mais n’est pas le pur glissement de la parole de personne. Du « je » effacé il garde l’affirmation autoritaire, quoique silencieuse (…) l’écrivain qu'on appelle classique – du moins en France – sacrifie en lui la parole qui lui est propre, mais pour donner voix à l’universel. Le calme d’une forme réglée, la certitude d’une parole libérée du caprice, où parle la généralité impersonnelle, lui assure un rapport avec la vérité. Vérité qui est au-delà de la personne et voudrait être au-delà du temps. (Blanchot, 1955: 22-23)

Pourtant malgré l’affirmation, voire la consécration d’un Je qui se serait détaché du corps et de son vécu à la manière d’un ectoplasme, Blanchot n’échappe pas à un certain sexisme ou tout au moins à la reconnaissance implicite d’un lien toujours opérationnel entre le Je de l’écriture et le support individuel, par exemple quand il se réfère à « l’affirmation autoritaire », ou lorsqu'il dit à un autre endroit:

Lorsque, dans une œuvre, nous en admirons le ton, sensibles au ton comme à ce qu'elle a de plus authentique, que désignons-nous par là ? Non pas le style, ni l’intérêt et la qualité du langage, mais précisément ce silence, cette force virile par laquelle celui qui écrit, s'étant privé de soi, ayant renoncé à soi, a dans cet effacement maintenu cependant l’autorité d’un pouvoir, la décision de se taire, pour qu'en ce silence prenne forme, cohérence et entente ce qui parle sans commencement ni fin. (Blanchot, 1955: 22)

Force est de constater que même Blanchot n’y échappe pas et qu'il a recours, malgré lui (???) au qualificatif viril. Autrement dit, il semble reconnaître que le « sexe » de la parole autoritaire qui renonce au soi est masculin. La grande écriture, aussi universelle soit-elle, reste donc phallique, en dépit du détachement de toute contingence physique. Et il serait tentant d’appliquer les découvertes de Moir et Jessel sur la tendance masculine à l’abstraction et à la vue d’ensemble, à l’auteur Blanchot qui prône l’écriture comme « une puissance neutre, sans forme et sans destin, qui est derrière tout ce qui s'écrit » en raison de quoi d’ailleurs les auteurs auraient fréquemment recours au « journal »: car « l’écrivain éprouve le besoin de garder un rapport avec soi » (Blanchot, 1955: 24), et c’est dans la rédaction du journal qu'il s'y autorise.

De prime abord Marguerite Yourcenar n’est pas en désaccord avec Blanchot. Comme le rappelle Anne-Marie Prévot de l’Université de Limoges:

Nous savons combien Marguerite Yourcenar refuse les étiquettes, les enfermements dans une vision partielle donc partiale du monde ; nous savons combien elle privilégie dans son œuvre le mot « être » à celui d’ « homme » et de « femme » ; nous savons combien le détail singulier est aussi détail universel, par le choix de l’article indéfini en lieu et place du possessif, par exemple. (Prévot, 2005: 139-140)

Anne-Marie Prévost pose ensuite la question:

Alors une écriture féminine ? Plutôt discours féminin, lequel, à la lecture de certaines œuvres, ferait reconnaître des constantes d’une approche-femme du monde, une perception du monde relevant de l’élémentaire féminin ; quelque chose qui serait de l’ordre du contact, du poreux, mais aussi de l’incandescent, du transgressif et de la rumeur intime (…) Le soubassement qui appartient en propre à la nature de l’auteur, se situerait dans une écriture-femme, dans la résonance du féminin en tout ; je tenterai de circonscrire par l’étude du récit _Marie-Madeleine ou le salut* l’approche d’une écriture-femme du corps, écriture du corps inscrite également dans _Alexis*, et Les Mémoires d’Hadrien (…) Puis j'évoquerai dans quelques fragments d’œuvre, une écriture-femme du bruissement intime, voix où surgissent « les éléments féminins qui comptent toujours pour moi », comme le confiait Marguerite Yourcenar à Patrick de Rosbo : l’émotion pure, le chant pur, les sentiments inépuisables. (Prévot, 2005 : 139-140)

« l’émotion pure », une « écriture-femme du corps », on croirait entendre Kant ou Moir et Jessel. Et Anne-Marie Prévot de conclure:

Les dernières citations éclairent en biais les traces d’une écriture-femme chez Marguerite Yourcenar ; cette écriture subversive se situe au centre des remous du cosmos et de l’être: la vie, la mort, l’extrême désir. Cette écriture fait du corps le lieu de résonance de l’âme, le point de contact avec le monde. Chez Marguerite Yourcenar, les sons de l’âme et du monde s'expriment par le clavier du corps. Le poète, c’est celui qui par le corps est en contact et celui qui perçoit ce que l’élément féminin distille le plus subtilement: la vie, la souffrance, le désir et la mort. (Prévot, 2005: 156)

l’écriture-femme de Marie-Madeleine ou le Salut est un exemple extrême. Dans La Femme gelée, Annie Ernaux explique:

Je m'écris, je peux faire ce que je veux de moi, me retourner dans n’importe quel sens et me palinodier à l’aise.

(Ernaux, 1988: 31).

Cette remarque, note Anne-Marie Prévot, pourrait s'appliquer avant l’heure à l’écriture yourcenarienne. Marie-Madeleine est scripteur de sa propre vie ; elle se donne une forme dans l’écriture. Elle acquiert ce que Paul Ricoeur nomme « l’identité narrative ». Nous pouvons parler à propos de ce récit de Marie-Madeleine de l’avènement du corps comme objet d’écriture, mais aussi constituant linguistique, chair linguistique.

Poussée à l’extrême dans le cas de la Marie-Madeleine de Yourcenar, l’écriture-femme est néanmoins repérable dès lors qu'elle part des tréfonds constitutifs du corps sexué et des fantasmes prélangagiers également liés au sexe. « c’est par le corps que le poète est en contact » (Prévot, 2005:139-140)

C’est un écrivain cette fois, un homme donc qui, bien qu'éloigné dans le temps et l’espace de Yourcenar ou de Ernaux, déclarera lors d’un colloque tenu récemment à Sarajevo (il s'agit de l’Irlandais Colum McCann):

When you write fiction, you get to imaginative parts written in the deep genetic language of the body.

À ce stade j'ai presque envie de dire: C.Q.F.D, car mon intime conviction mais aussi mon expérience de lecture de textes littéraires d’écrivains ou d’écrivaines, est qu'il existe bel et bien un discours féminin et un discours masculin incarnés par l’écriture. Ne serait-ce déjà que parce que tout discours se nourrit et de l’imaginaire et du corps comme instrument d’appréhension du monde. Deux précisions à apporter toutefois: le sexe de l’écriture peut ne pas correspondre au sexe biologique de l’auteur ; et la féminité de l’écriture n’a rien à voir avec une quelconque intention féministe.

La traduction « sexuée »

Venons-en maintenant au vif du sujet et passons à l’activité traduisante. L’anecdote suivante, amusante sans doute, est déjà révélatrice d’une possible différence dans l’approche « sexuée » d’un texte à traduire: deux traducteurs, un homme et une femme, avaient travaillé sur le même passage d’un texte italien. Les résultats, corrects de part et d’autre étaient pourtant bien différents. La traductrice avait écrit: « il enfourcha son étalon », et le traducteur: « il chevauchait son destrier ».

Comment concevoir la relation homme/femme dans l’acte du traduire ? Selon moi elle se fonde d’abord sur le phénomène général d’ empathie.

L’importance de l’empathie semble évidente. Mais empathie entre qui et qui, entre quoi et quoi ? Il ne s'agit pas d’une communion idéelle ou idéologique. J'ai traduit pendant vingt ans un auteur marxiste (Ernst Bloch) sans être moi-même de cette obédience. L’empathie n’est pas non plus une ressemblance dans le caractère ou le mode de vie. Loin de là. On ne traduit pas un homme ou une femme, on traduit un texte. L’empathie de bon aloi se situerait plutôt au niveau de l’écriture, et donc, de cette fameuse « vision du monde » sur laquelle se sont étendus tant d’auteurs eux-mêmes ; vision du monde, appréhension des choses qui se concrétise dans le style, la forme, les métaphores, le ton et enfin, la voix, la voix du texte.

C’est grâce à cette empathie que le traducteur trouvera plus spontanément et plus vite le mot ou la phrase ou le rythme adéquats, puisque d’une certaine manière il est sur la même longueur d’ondes. « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément », Boileau l’avait déjà compris sans encore songer au processus de traduction. Le même problème se pose chez l’acteur qui doit incarner telle ou telle passion: le jeu y gagnera s'il peut aller chercher tout au fond de lui les moyens de l’exprimer, plutôt que de la feindre. S'il doit la feindre, il sera qualifié de comédien capable de tout interpréter, mais son jeu sera-t-il aussi convaincant, aussi vrai ?

La réflexion approfondie ne peut faire l’économie d’une certaine interprétation psychologique du phénomène d’empathie. L’analyse qui suit est inspirée de la psychanalyse, en l’occurrence des travaux de Sigmund Freud, et de Donald Winnicot, mais aussi de ceux d’une collègue belge, psychologue et traductrice de formation: Thilde Barboni.

Avant de traduire, le traducteur ne va pas déposer au vestiaire sa personne profonde pour n’entrer en action que comme une espèce d’ouvrier mécanicien fonctionnant à la manière de ces récentes machines à traduire. La personnalité du traducteur a une structure propre et particulière, qui déterminera les processus cognitifs mis en oeuvre dans son travail. Bref: si une traduction est bonne ou mauvaise, ce n’est pas uniquement le fait d’une maîtrise plus ou moins suffisante des langues de départ et d’arrivée. Deux autres facteurs entrent en jeu qui expliquent bien des choses: l’imaginaire et les mécanismes de défense. Laissons de côté les mécanismes de défense qui sont moins pertinents dans ce contexte.

Pour définir l’imaginaire, il faut remonter à sa genèse et avoir recours à deux concepts. Le premier est celui d’espace transitionnel. Lorsque la mère progressivement s'éloigne du petit enfant, se crée un espace vide qu'il investira pour combler l’absence, en l’emplissant de fantasmes. C’est aussi l’espace où il va jouer. Le deuxième concept structurant l’imaginaire est le jeu qui, comme le rêve, est une forme primitive de représentation précédant l’apparition de la parole. Une boîte devient un camion, l’objet remplace la mère. À la réalité se substitue donc quelque chose de symbolique. L’espace transitionnel et son investissement par l’enfant sont le berceau de la symbolisation et de la conceptualisation. Le jeu est la simulation d’une réalité contrôlée pour mieux la maîtriser. Cette maîtrise est sécurisante, rassurante. Comme l’était la présence de la mère. C’est cette tentative de maîtrise dans le jeu qui se retrouvera plus tard dans l’écrit. L’écrivain lui aussi maîtrise le réel dans sa réalité simulée, dans sa fiction, ce qui n’est pas toujours le cas dans son existence personnelle, de là d’ailleurs que l’auteur et l’homme peuvent être aux antipodes l’un de l’autre. Au fond l’artiste et l’écrivain n’ont jamais cessé de jouer, et ils répètent à l’infini cette étape de leur développement.

C’est donc avant l’apparition du langage parlé que se structure l’inconscient. Au niveau de la création artistique, ce qui se passe ici, avant la parole, est prépondérant. Les fantasmes, les émotions qui y sont apparus et habitent la personnalité toute la vie, n’ont pas de mots pour s'exprimer. Rappelons qu'il existe trois sortes de fantasmes: le fantasme conscient, qui agit dans le rêve éveillé, le fantasme inconscient qui exprime un désir refoulé dans le rêve nocturne, et le fantasme originaire, transmis par l’inconscient collectif. Les fantasmes inconscients sont prélangagiers. Pourtant c’est eux qui passeront plus tard dans l’écriture, à côté des fantasmes conscients qui campent la fiction. Quand l’homme maîtrise le langage, ce n’est pas en conceptualisant qu'il exprimera ce patrimoine primaire personnel, mais par le biais, souvent inconscient, de métaphores, de jeux de mots, de connotations, en créant un langage plastique que lui-même sera incapable d’analyser pour retourner aux sources. Mais l’inconscient c’est aussi le lieu du refoulement des pulsions interdites par le Surmoi. Le Surmoi, cet héritier de l’Œdipe comme le dit Françoise Dolto, cette instance structurante de la personnalité, empêche le passage à l’acte. Dans le cas de l’écrivain normalement constitué, c’est dans l’écrit que se situera ce qu'on appelle l’acting ou ici acting intermédiaire: de nombreux écrivains règlent ainsi dans la fiction leurs angoisses profondes en les « agissant » dans l’écrit.

La traduction réussie se situe dans la rencontre de deux imaginaires. Le traducteur compétent pour tel auteur aura accès à l’imaginaire et à l’inconscient de celui-ci, ce qui lui permettra de mettre des mots, les mots de sa propre langue sur des sensations, des pulsions, des émotions qu'il ressent lui-même de l’intérieur et que l’auteur a fait passer dans son texte, souvent sans le savoir.

Toujours dans le cadre de la rencontre empathique d’un auteur et d’un traducteur, il existe un autre facteur favorable à la réalisation d’une bonne traduction: une structuration identique de la pensée, lors du passage au langage qui s'est fait selon les mêmes clivages. C’est dans de tels cas privilégiés que le traducteur n’aura aucune peine à suivre les méandres complexes de l’écriture de son auteur. Nous avons affaire ici à une rencontre exceptionnelle pour ne pas dire « géniale ». En bref: quand l’espace transitionnel de l’écrivain et celui du traducteur se recouvrent, il peut en sortir de « grandes traductions ».

Pourtant la rencontre qui se situe à l’intersection de deux inconscients peut être un fiasco total dès lors que le traducteur et l’auteur communiquent au niveau du conscient: c’est-à-dire là où se rencontrent deux Moi en prise directe sur la réalité. Ils peuvent même se détester et il arrive que l’auteur se rebiffe violemment contre l’interprétation que le traducteur donnera de son œuvre.

Une fois établi ce critère d’empathie, il reste à préciser sa nature dans le cas du couple auteur/traducteur de même sexe ou de sexe différent.

J'ai traduit des hommes et des femmes. Parmi les hommes un Allemand Ernst Bloch et un juif autrichien Jean Améry. Parmi les femmes une Flamande Kristien Emmerechts et une Allemande, anonyme. Les deux hommes sont philosophes, les ouvrages traduits sont des essais ou des romans-essais. Les deux écrivaines racontent un vécu de femme: Kristien Emmerechts relate une histoire de maternité et de mort d’enfan  ; l’anonyme évoque le Berlin du printemps 1945, période où les Russes envahissent la ville et violent la majorité des Berlinoises. D'un côté donc des œuvres de réflexions abstraites inspirées de phénomènes concrets, également pris en compte, de l’autre des histoires de vécu concret, des émotions, engendrant une volonté de morale et de sagesse à retirer de l’épreuve. On pourrait donc faire une première distinction entre un vecteur masculin et un vecteur féminin déterminés par la thématique de ces ouvrages: contenu philosophique pour les deux hommes, purement narratif pour les deux femmes. Chez les premiers, la réflexion prioritaire s'appuie sur la réalité ; chez les secondes la réalité prioritaire suscite des émotions et des réflexions. Pourtant ce n’est pas dans le contenu que j'ai pu ressentir la masculinité ou la féminité de l’écriture. C’est dans la voix du texte.

Un remarquable ouvrage lui fut consacré: La vive voix, du psycho-phonéticien Ivan Fonagy. Dans cet ouvrage les bases pulsionnelles de l’articulation, de la prosodie, du style vocal, sont analysées à l’aide de la science phonétique et de la théorie psychanalytique, le style vocal étant interprété comme une communication préverbale, intégrée au message linguistique. Ces études proposent un regard neuf sur l’acte de parole, un point de vue que la linguistique a tendance à négliger: la jonction entre la communication et la pulsion. Comme l’explique Roman Jakobson, préfacier de l’ouvrage :

Le grand mérite de Fonagy est de franchir un pas décisif dans son approche des sensations motrices des expressions émotives. Cette matière primordiale appartient de droit au processus de production, qui reflète l’expérience affective du locuteur. Ces éléments de discours, iconiques et représentatifs, donnent une matière variée aux diverses sections de la recherche de Fonagy, classée sous des titres originaux comme « style vocal », « mimique vocale » et ses métaphores, « bases pulsionnelles de la phonation », « investissement libinal », « stratégie des sons et des silences ». De nouvelles perspectives émergent de cette suggestive confrontation de facteurs acoustiques moteurs aux divers niveaux de la prosodie. (Fonagy, 1983: 7-8)

Fonagy commence par déterminer le statut du style vocal, qui passe forcément dans toute poésie:

La vive voix s'oppose en français, comme en d’autres langues, à la lettre morte. Les métaphores ne sont jamais gratuites. Si elles ont l’air de l’être, ceci veut simplement dire qu'elles vont au-delà de la pensée consciente et expriment quelque chose que nous savons sans le savoir. (Fonagy, 1983 : 9)

Fonagy établit un rapport pour lui évident entre le geste vocal et la métaphore:

Les rencontres fréquentes du geste vocal et de la métaphore ne sont pas des rencontres fortuites. Des liens étroits et multiples relient les deux. Les performances vocales de caractère gestuel sont interprétées à un niveau préconscient ou inconscient. Elles échappent, par conséquent, à l’analyse conceptuelle consciente. Elles ne sont pas imperméables, toutefois, à l’idéation métaphorique. Toute métaphore originale implique une régression momentanée au stade préverbal – le poète, le savant écartent volontairement un terme et un concept préexistant – qui permet la création d’un nouveau terme, de nouveaux concepts à partir des sensations, d’impressions fraîches, inédites. Cette régression instantanée, contrôlée, vers des couches archaïques du moi, est comparable à la régression moins profonde qui engendre les mots d’esprit (Freud, Der Witz, G.W., VI, p. 181) (Fonagy, 1983 : 206)

Pour Ivan Fonagy l’organe phonatoire est donc un théâtre de psychodrames. L’expression « parler d’une voix étranglée » par exemple, correspond à un étranglement réel des cordes vocales, traduisant soit la timidité temporaire du locuteur soit son envie assassine d’étrangler son vis-à-vis. Et nous savons quel rôle important les phonèmes jouent dans l’écriture, dans la poésie surtout. Fonagy parle en outre de « gestes syntaxiques comme le bouleversement emphatique de l’ordre normal, grammatical des mots, et, au niveau lexical, des métaphores et des idiomatiques, façons de parler étranges et révélatrices. » (Fonagy, 1983: 207)

Si l’on admet donc, en vertu de tout ce qui vient d’être rappelé, que l’activité cérébrale est sexuée, que l’écriture passe par « le clavier du corps », que le texte poétique est une « chair linguistique », que le poète, c’est celui qui par le corps est en contact, que métaphores et phonèmes sont des constituantes fondamentales de toute écriture littéraire, qu'il existe une réserve prélangagière des émotions et des sensations traduites plus tard linguistiquement, il semble aller de soi que l’écriture porte la marque de fantasmes et d’une perception du monde commandées par l’appartenance à l’un des deux sexes. La petite fille ne peuplera pas son espace transitionnel des mêmes objets que le petit garçon, l’approche du monde castrée n’est pas la même que l’approche du monde phallique. J'y ai toujours été sensible dans mon activité de traductrice que je tenterai maintenant de décrire aussi précisément que possible. Pour ce faire, j'aurai recours à un schéma triangulaire, à l’image du ménage à trois de mon activité traduisante dans le cas de textes écrits par des hommes:

  • premier partenaire: la dimension masculine du texte de départ.
  • deuxième partenaire: ma composante féminine « érotiquement » sensibilisée à l’écriture du premier
  • troisième partenaire: ma propre composante masculine, seule capable de restituer la voix masculine, dans un processus d’identification et de mimétisme.

La voix d’Ernst Bloch a donc pour ainsi dire « séduit » la femme que je suis. Était-ce la voix du Père, du Phallus ? La voix du Protecteur et du Guide, la voix sécurisante et enivrante du Prophète ? Toujours est-il que cette voix me fascinait et que ma composante féminine était érotiquement conquise par la dimension masculine du texte blochien qui se transmettait à travers les accents, les intonations et le souffle du ton. Un premier pas était fait pour une restitution de bon aloi: ce que l’on pourrait appeler plus vulgairement « l’amour du texte », voire « l’amour sexué » du texte.

Mais cela n’aurait pas suffi pour se lancer dans la deuxième phase du travail: la restitution de l’écrit et de sa voix. Le traducteur n’est pas seulement un récepteur ou un exégète, il doit passer à l’action et remodeler l’ouvrage dans un autre matériau. C’est donc ma composante masculine qui prenait le relais dans cette seconde phase, celle de la recréation.

La même expérience s'est répétée lorsque j'ai entrepris de traduire les romans-essais de Jean Améry, juif autrichien victime de l’holocauste, ami de Primo Levi et qui, comme ce dernier, finira par se donner la mort. Ici encore, j'entendais la voix du texte qui correspondait aussi à celle d’Améry, une voix également « virile », mais bien différente cependant, non plus celle du prophète de l’optimisme militant, du messianisme sécularisé, mais celle du narrateur indigné, éprouvé, détruit par l’Indicible, de l’homme dont l’amour de la vie pourtant latent entre les lignes avait été à jamais brisé. Cette fois la langue était celle de l’être humain avili, de la victime amère et lucide qui revendique sa dignité et veut que justice lui soit rendue, celle du désespoir analytique, mais cette fois encore il s'agissait de la voix d’un homme.

l’épaisseur physique du texte me semble indéniable. Nous autres traducteurs, nous la vivons au quotidien, nous qui oeuvrons non seulement avec le cerveau (et, nous l’avons vu, avec ses deux hémisphères, la partie analytique et logique et la partie intuitive et créatrice), car nous avons aussi recours en permanence à nos cinq sens. Impossible de bien traduire sans ressentir, voir ou entendre à la manière de l’auteur. Surtout quand l’instrument du dire est la langue allemande, d’une précision sensorielle redoutable. L’effet produit dans la langue-source, qui devrait être le jumeau de l’effet produit dans la langue-cible, dépend étroitement du ressenti du traducteur. Or, comment exprimer correctement, justement, ce qui ne touche pas, sinon de manière artificielle et aléatoire ?

Nous avons rappelé que la bonne traduction était due en partie à l’heureuse rencontre de deux imaginaires et d’une même structuration langagière. Pour ce qui est de l’imaginaire, une apparente contradiction semble surgir: comment la traductrice que je suis, avec son imaginaire de femme, peut-elle « rencontrer » l’imaginaire masculin de l’auteur ? Justement par le biais de l’érotisation du processus, par une sorte d’empathie érotisée, c’est donc par l’accueil bienveillant d’un imaginaire différent mais complémentaire que commence l’aventure.

Telles étaient donc mes premières conclusions, jusqu'au jour où je fus amenée à traduire une femme. Une femme de trente ans. Seconde Guerre mondiale, avril 1945, Berlin. Front allemand qui recule, Russes qui avancent, envahissent tout autour d’elle, chez elle, en elle. Il s'agissait d’un journal intime, non plus d’un essai, ni d’un roman-essai critique et poussant à l’action, avec des élans « virils ». Je lisais l’intime confession d’une jeune femme cultivée, dépouillée de tout, réduite à une misérable vie de taupe cherchant refuge dans des caves-abris, d’une femme violée comme ses congénères, d’une jeune femme pour laquelle je sentis croître en moi une énorme compassion et une immense admiration. Son écriture « ciselée », remarquable de finesse, de justesse, de sensibilité, mais aussi sa capacité de distanciation, sa dignité dans l’épreuve: tout cela aussi finit par me séduire, mais il s'agissait d’un autre type de séduction. Le processus traductif n’était plus le même. C’est la solidarité, voire l’amitié, une sorte de connivence qui guidait désormais ma plume. Il me fallait entrer dans sa peau, devenir elle quelques heures par jour, pour revivre par ses mots ce vécu souvent terrifiant et ne pas trahir la précision de ses émotions, de ses déductions, pour emboîter son pas à pas dans le monde absurde et destructeur de la guerre.

Sa réponse face aux atrocités, à la faim et au viol était l’écriture clandestine, la tenue d’un journal intime dans lequel « elle crache tout » pour ne pas en mourir. L’écriture pour la survie.

Je me suis donc prise d’amitié pour cette anonyme et le plaisir ici était d’un tout autre ordre. Sans doute concevais-je cette fois la traduction comme une « mission ». Ici aussi j'entendais une voix: celle d’une jeune femme indignée, amère et caustique, digne et noble, qui savait même recourir à l’humour, humour souvent noir, pour banaliser l’horreur et lui survivre.

Je jouai pleinement le jeu. Il m'en arriva, je l’avoue, de ne pas dormir, revivant à travers ses demi-mots le vécu horrible et presque quotidien qui serait le sien pendant des mois. Le mien au travers de la réécriture. L’Eros traducteur s'en trouvait bien métamorphosé, certes, mais il était toujours présent: il me fallait puiser en moi toute la force qui avait guidé l’écriture secrète et clandestine de la jeune femme, elle qui n’avait plus que son cahier et son crayon comme échappatoire.

Les conclusions d’une praticienne

Voilà quarante ans que je traduis, essentiellement de l’allemand au français, et des textes de tous ordres, sciences humaines, romans, nouvelles, poésie, essais. En tant qu'artisan ayant à façonner sa langue maternelle et à la plier aux plus folles contorsions pour lui faire dire ce qu'elle ne n’aurait jamais exprimé ainsi, et donc à la « violenter » pour l’ouvrir à des approches autres, j'ai forcément toujours été confrontée à son degré plus ou moins grand de plasticité. En amont, il m'a toujours fallu détecter d’abord la plasticité de la langue de départ et mettre au jour les composantes physiques, sensorielles du texte, y repérer les connotations, les allusions lexicales, le vécu intime et obscur contenu dans la métaphore, la respiration humaine contenue dans le rythme et la voix du texte, bref tout ce qui peuple l’espace entre les lignes et constitue l’épaisseur textuelle et poétique. J'ai tenté de démontrer que ce corps textuel, cette « chair linguistique » était toujours sexués, du moins dans la grande littérature poétique et métaphorique, dans cet espace littéraire qui semble planer bien au-dessus de la réalité mais reste pourtant ancré dans les tréfonds humains. J'ai voulu faire ressortir dans ma pratique l’importance du rôle de l’Eros traductif, de ce principe actif du plaisir à l’œuvre dans tout acte créatif, ou recréatif. Tenté enfin de faire comprendre que la relation entre le traducteur/la traductrice et le texte de l’auteur ou de l’autrice ne pouvait faire l’économie d’une sorte de philosophie symbiotique, d’une empathie très certainement sexuée, sous peine d’amputer le texte de son « âme »: je n’ai pas trouvé de meilleur terme pour exprimer cette vie qui habite et anime le texte dans tous ses recoins, et le fait participer de la grande poiesis.

Bibliographie

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Françoise Wuilmart.

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